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Séminaire

Mondes hostiles et couplages à la technique

Séminaire organisé par Céline Rosselin-Bareille et Caroline Moricot

CETCOPRA, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

celine.rosselin-bareille@univ-orleans.fr // caroline.moricot@univ-paris1.fr

NSCRIPTION OBLIGATOIRE

Protéger les corps en les harnachant et malgré tout les immerger dans des mondes hostiles pour qu’ils y produisent une action relève d’une prise de risque socialement consentie et procède de la mise en équation du rapport, variable dans l’histoire, qu’une société entretient avec le risque, le sacrifice. Soucieuses de prolonger nos réflexions partagées autour de nos terrain respectifs –auprès des scaphandriers travaux publics et des pilotes de chasse –, nous nous proposons, dans ce séminaire, de travailler sur les environnements qui n’accueillent des êtres humains qu’au prix d’adaptations bio-psycho-sociales et techniques fortes.

Équiper les corps permet le franchissement de ses capacités naturelles : respirer sous l’eau, voler dans les airs, aller au front des incendies, intervenir en milieux radioactifs ou en milieux contaminés par la maladie. Ce couplage aux objets techniques constitué de l’équipement conduit à la transformation des sujets et se double, en retour, d’un nécessaire apprentissage de la technique par le corps, c’est-à-dire de l’acquisition d’une « technique du corps » qui constitue un voyage intérieur aux confins de ses propres limites physiques. Ces limites ne sont pas stabilisées, mais variables d’un individu à l’autre et variables pour un même individu selon sa condition du jour ; il faut donc savoir les évaluer à chaque occurrence. Être au plus près de ses limites, c’est accomplir une belle performance ; les franchir, c’est mourir ou tout du moins se mettre en grand danger. Cet apprentissage est plus ou moins long et plus ou moins difficile selon les professions ou contextes d’intervention ; il se réalise de toute façon graduellement en école de formation, sur le tas, au sein de collectifs qui participent à imprimer dans le corps de chacun de ses membres ses habitudes, ses recettes, ses pratiques et ses représentations (du beau, du remarquable, du courageux, du dangereux, du menaçant).

Les environnements hostiles offrent ainsi un verre grossissant intéressant pour analyser les façons dont les techniques et les gestes sur les matières, comme le harnachement des corps, articulent le vital et le social, pour observer les couplages et découplages entre sujets, objets et environnement.

Nous avons identifié trois pistes comme autant d’invitations à s’approprier la thématique : l’expérience de l’hostilité des environnements dans lesquels évoluent les sujets concernés ; celle des sensations dans les processus de couplage-découplage avec les objets et les environnements ; celle, enfin, des limites de l’humain et de la technique comme possibilité de questionner ce que les collègues géographes, nomment l’écoumène. Nous pourrons nous interroger ainsi : quel équipement pour quelle hostilité ? quel harnachement bien souvent au service d’une entité supérieure (l’employeur, la mission, le collectif) ? quel camouflage pour « se glisser » dans l’hostilité ? quels engagements, apprentissages et techniques du corps sont mobilisés dans l’expérience de l’immersion dans un milieu hostile ? quelles expériences sensorielles (pas uniquement visuelles ou tactiles) du harnachement, du confinement ? dans quelle mesure l’articulation aux objets en situation d’hostilité produit-elle un monde viable, même si ça n’est que temporaire et fragile, et forme un sujet particulièrement construit pour ce monde-là ? Qu’est-ce que cela fait de s’immerger dans des espaces hostiles ? Y-a-t-il création d’une disposition sensible à l’environnement concerné ? Comment ces expériences alimentent-elles la question de la terrestrialité des êtres humains ?

 

Mardi 21 mars 14h00-16h30 Panthéon, salle 216

Gérard Dubey
Morphologie d’un collectif de travail entre les murs : le cas du bloc opératoire

Pour protéger le corps du patient des agressions bactériennes le bloc s’est constitué comme un milieu fermé, étanche au monde extérieur et à ses agressions. Dans un tel milieu les mouvements et les interactions quotidiennes sont fortement contraintes. Paradoxalement la vie y a peu de place bien qu’il s’agisse de « réparer » les vies. La vie du patient d’abord, réduite à ses paramètres vitaux et dépersonnalisée. L’anthropologie a depuis longtemps montré en quoi cette dépersonnalisation était à la fois ce qui rendait le geste opératoire techniquement et symboliquement efficace (notamment en permettant de conjurer la transgression que représente l’ouverture du corps). Mais ce rapport singulier à l’altérité ne concerne pas que les patients. Le corps et la vie des soignants sont aussi l’objet d’un refoulement que manifestent des manières particulières d’être ensemble, d’interagir avec l’espace et le temps, de produire un dehors à l’intérieur des murs.

Gérard Dubey est professeur de sociologie à l’Institut Mines-Télécom Buisness School et chercheur au CETCOPRA. Il a récemment publié La servitude électrique (avec Alain Gras), Seuil, 2021. Il travaille actuellement sur les pratiques chirurgicales.

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Mardi 20 juin 14h00-16h30, Panthéon salle 6
Axel Guïoux et Evelyne Lasserre
« Tu ne marcheras pas seul(e) » - Ethnographie des usages d’un exosquelette dans un service médical de réadaptation

A l’inverse de son funeste homonyme cinématographique, l’exosquelette « HAL » (pour Hybrid Assistive Limb) n’a rien d’hostile. Conçu au prime abord pour assister les salariés japonais dans des tâches physiquement éprouvantes ou pour accompagner des personnes âgées dans leurs usages quotidiens, son « script » de départ s’est vu, progressivement, modifié. Désormais, c’est aussi - voire surtout - dans les services médicaux de médecine physique et de réadaptation neurologique qu’il est utilisé afin de permettre à des personnes cérébrolésées ou blessées médullaires de retrouver une mobilité et une autonomie relative. Pour elles, en effet, c’est la sensation d’un corps qui dysfonctionne, se dérègle qui les contraint à faire l’expérience d’une intimité corporelle devenue hostile. 

Quels rôles un appareillage tel que HAL peut-il jouer dans ce processus de réapprentissage des repères ordinaires ? Le corps-à-corps entre la machine et le sujet humain participe-t-il d’une évidente transparence ? Quelles sont les modalités et les formes de leurs ajustements mutuels ? Quelles places les médiations (techniques mais aussi soignantes) peuvent-elles revêtir dans ce complexe couplage bio-technologique ?

Axel Guïoux - Maître de Conférences en anthropologie à l’Université Lumière-Lyon 2.

Evelyne Lasserre - Maîtresse de Conférences en anthropologie à l’Université Claude-Bernard-Lyon 1.
Ils sont tous deux rattachés à la composante Corps Travail Territoires de l’UMR CNRS 5600 Environnement Ville Société et travaillent ensemble depuis de nombreuses années sur les thématiques du corps, des technologies et de la santé. Ils sont membres du groupe Corps et Prothèses (http://new.corps-protheses.org/) et ont contribué à l’ouvrage collectif du même nom.

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